Rencontre - épisode 1

(Transcription des sténogrammes après chaque passage sténographié)

Impeccable, François se sent impeccable. Il a suivi le conseil de sa collègue de travail : camoufler avec du mercurochrome la croûte persistante de son crâne chauve. Il la remerciera de ce conseil. Sa croûte est devenue moins douteuse et même si le rouge du mercurochrome va forcément attiré le regard de la dame, elle n’y verra qu’une blessure, ce qui pourrait leur faire un sujet de conversation. Mais que lui dirai-je à ce propos, se dit-il. Bah, j’improviserai en fonction de la dame. Si elle montre un caractère sensible, je tâcherai de l’apitoyer sur le sort de l’humble travailleur social que je suis, qui paie de sa personne face aux cas difficiles à gérer. Si elle est du style à ne pas s’attarder sur des bobos, je me vanterai d’une performance sportive ou d’un bricolage à risque qui m’aura valu une belle escarre. Recouverte de mercurochrome, cette satanée croûte ne devrait pas faire fuir la dame comme, selon l’avis de sa collègue, les autres dames de ses précédents rendez-vous. « Penses-tu que c’est l’unique raison ? » s’était-il inquiété.

Par politesse, elle s’est abstenue de lui parler de la bedaine de François. Il s’est pourtant efforcer de maîtriser son appétit durant ces dernières semaines et lui se voit presque filiforme par rapport à ce qu’il était les mois passés. C’est ainsi que l’esprit aussi léger que l’image qu’il a de son corps, il s’installe en sifflotant dans sa voiture et met le GPS en route. Direction le parc botanique de la ville voisine.

L’heure du rendez-vous est maintenant largement dépassée et François attend encore. Pourquoi la dame ne se présente-elle pas ? Ne s’est-il pas mieux arrangé pour ce rendez-vous-ci ? En le croisant, des gamins se sont moqués de la tâche de mercurochrome au sommet de son crâne dégarni. En y repensant, François se met à douter de lui. Ils ont peut-être raison, je suis ridicule avec ce mercurochrome sur la tête. C’est démodé ce produit. Si la dame m’a… Une dame justement le stoppe dans ses réflexions. Elle avance d’un pas décidé vers lui. Enfin la voilà. Pas vraiment comme il l’imaginait mais pas  mal tout  de même avec ses yeux malicieux. « Éric, je suppose ? »

Le sourire de François s’éteint. La dame devient confuse. « Désolée, je fais erreur n’est-ce pas ? » François se ressaisit. Il est venu pour rencontrer quelqu’un, qu’importe si ce n’est pas celle qu’il attendait, du moment qu’elle lui convient… « Mais pas du tout, je suis bien Éric. Comment m’avez-vous reconnu ? » La dame hésite. Elle considère longuement François, puis « Seulement au fait que vous attendiez sur ce banc. C’est le lieu de rendez-vous que nous nous sommes fixés. Autrement je ne sais rien de vous. » Ho, ho se dit François,  le prénommé Éric risque d’arriver sous peu. Il propose « Allons faire quelques pas en discutant, ce sera encore plus agréable qu’immobiles sur ce banc. » Elle acquiesce et tous deux se lèvent. Il enchaîne « Pouvez-vous me rappeler votre prénom ? » et montrant de la main sa tâche de mercurochrome « j’ai des trous de mémoire depuis que je me suis blessé à la tête avec une barre de fer sur un chantier. » « Je m’appelle Monique. » « Oui bien sûr, ça me revient, Monique. Ce prénom m’a toujours plu. Et bien Monique, allons nous promener du côté de l’étang. »

Suite à l'épisode deux