Apparition - épisode 1

 (Transcription des sténogrammes après chaque passage sténographié)

Calé dans le canapé, Denis se relaxe de sa journée passée à recevoir le flux continu des clients de sa boutique de téléphonie. A l'opposé, son épouse Mireille tourne nerveusement les pages d’un magazine, le délaissant fréquemment pour consulter sur Internet les actualités concernant en centre-ville les exactions de bandes déchaînées venues de la banlieue. Soudain apparaît sous ses yeux ce qu’elle redoutait : la devanture de leur boutique de téléphonie a été fracassée. « Denis, regarde ! Les vandales sont entrés dans le magasin. C’est décourageant. De la casse encore, pour la troisième fois ce mois. » « T’inquiète pas, y’aura pas de prochaine fois. » « Tu veux vendre le magasin ? D’accord, ça peut plus continuer. On vit sur les nerfs depuis qu’on l’a pris en gérance. » « Tu vis sur les nerfs, pas moi. J’aime ce challenge et ce ne sont pas de petits vandales qui me feront baisser les bras. Allez, oublie tout ça, on va passer une bonne nuit et demain on remettra de l’ordre dans le magasin. » Mais dans le lit, Mireille a bien du mal à s’endormir. Elle ne fait que compter et recompter toutes les dépenses qui les attendent.

Le lendemain,  les yeux cernés et le cheveu en bataille, Mireille découvre en vrai dans le magasin les ravages des furieux de la veille et … un jeune homme gisant dans son sang, à côté de la caisse enregistreuse. Son visage et tout son  corps sont criblés d’éclats métalliques. La vision la suffoque, elle s’évanouit. Denis ne bronche pas, il s’y attendait. Il ne pense qu’à agir vite et veille tout particulièrement à ce que personne ne l’aperçoive tandis qu’il traîne le corps jusque dans sa fourgonnette garée dans l’arrière-cour de la boutique. Deux jours plus tard, et bien que Denis soit persuadé qu’aucun des occupants des étages au-dessus de la boutique ait vu sa macabre manœuvre, des policiers se présentent à son domicile. Ils viennent pour l’embarquer en garde à vue ainsi que Mireille. Face au harcèlement des questions policières, c’est elle qui craque « Oui, mon mari a fait disparaître le corps d’un homme trouvé mort dans notre magasin tout saccagé de la veille. J’ai beaucoup insisté pour qu’il vous rapporte ce drame. Il a fini par me dire qu’il avait piégé  la caisse enregistreuse. »

Le jugement a été sévère. L'avocat n’a pu faire valoir que la boutique de téléphonie avait été plusieurs fois vandalisée.  Denis est condamné à huit ans de prison ferme pour homicide, avec la circonstance aggravante qu’aucun écriteau visible ne signalait le danger encouru à forcer l’ouverture de la caisse enregistreuse. Mireille vient aujourd’hui le voir au parloir pour la première fois depuis le prononcé du jugement. Elle est dépassée par la spirale d’ennuis qui s’est emparée d’eux. Tout lui fait peur quand elle sort en ville. Elle voudrait s’enfuir, se terrer dans un coin de campagne. Mais elle ne peut abandonner Denis en prison. Pour lui, elle a pris le métro, chargée d’un sac de provisions, enduré les regards hostiles qu’elle sent peser sur elle. N’est-elle pas la femme d’un commerçant désormais connu dans tout Lyon pour avoir, en piégeant son magasin, ôté la vie à un très jeune homme ? Emplie de honte, elle franchit les portes de la prison. Denis l’attend, impatient d'avoir des nouvelles du magasin. Même emprisonné, il tient à ce que son affaire tourne bien. Il y a mis tant d’énergie, plus rien ne peut l’en détourner.

Mireille n'est pas dans le même état d'esprit que son mari quand elle s’installe devant la grille du parloir et lorsqu’il lui demande si elle a fait le nécessaire pour changer la vitrine fracassée, elle le désarçonne en répondant « Non, je laisse tomber le magasin. » « Quoi ? Tu ne peux pas me faire ça. C’est ma vie ce magasin. Je veux le retrouver en sortant de prison. » « Mais comment fais-tu pour croire encore que l'affaire peut reprendre?» « Rappelle-toi des galères de nos débuts.» Mireille se rappelle en effet, ils les ont toutes surmontées.

Un mois plus tard, la vitrine du magasin a été remplacée. A l’intérieur, les rayons sont regarnis et les traces de pillage sont effacées. La clientèle a afflué dès le premier jour de la réouverture. La reprise n’est pas aussi difficile que Mireille le craignait. Elle a pu faire installer un rideau plus résistant que le précédent pour la protection de la vitrine. Tout en songeant au bon bilan qu’elle apportera en fin de semaine à Denis, elle fait descendre le nouveau rideau. Mais avant qu’il n’atteigne le sol, il se bloque : de grosses vis dépassent des montants du cadre en bois de la vitrine. Qui s’est permis dans la journée de les visser?                             Suite à l'épisode deux